Culture de l'écrit

Comment parler des livres que l'on a pas lu ?
A propos du livre de Pierre Bayard



Comment parler de Michel de Montaigne et de Paul Valéry, que l’on a pas lus ?
Comment parler de Umberto Ecco, de Graham Green, et de quelques autres que l’on a pas lus ?
Pourquoi ne pas lire les textes que l’on doit commenter ?
Comment signer des livres que l’on a pas écrits?
Pourquoi écrire des livres qui ne seront jamais lus ?
Contrairement à ce que ce titre de l’ouvrage pourrait paraître signifier, ce livre n’est pas un manuel pratique donnant à chacun des trucs pour briller au cours d’un dîner ou d’un colloque à propos d’un livre que l’on n’aurait pas lu. Mais c’est beaucoup plus un ensemble de réflexions intelligentes et parfois, non conformistes sur les lectures.

Comment parler de Michel de Montaigne et de Paul Valéry que l’on a pas lus.
L’auteur nous entretient de ces deux grands écrivains et princes de l’introspection : Michel de Montaigne et Paul Valéry. Tous deux paradoxalement mauvais ou faibles lecteurs.
Montaigne qui se dit incapable de retenir des noms propres et avoue ne pas reconnaître assez souvent les textes qu’il avait écrits dans le passé.
Paul Valéry avoue lire très peu, mais se reconnaît capable d’écrire sur des textes qu’il n’a pas lus. Ainsi, au cours d’un brillant discours à l’Académie française sur le philosophe Henri Bergson, à l’occasion de ses obsèques, on croit découvrir beaucoup de choses, sur l’œuvre de ce dernier. Mais, si l’on est au courant de l’ignorance du premier, on ne perçoit alors que de brillantes généralités sans aucune information précise et originale. Encore faut-il le génie stylistique de Valéry pour nous tromper ainsi.
Toujours devant la célèbre institution ayant à prononcer l’éloge funèbre de Anatole France, auquel il succède, il ne se prive pas contrairement à la tradition de dénigrer l’œuvre de l’écrivain. Paradoxe, Anatole France, était connu comme étant un grand et passionné lecteur.

Comment parler de Umberto Ecco, Graham Green, et de quelques autres que l’on a pas lus.
L’auteur du Nom de la rose nous associe aux recherches et enquêtes de son moine détective sur les meurtres de plusieurs frères. Et, finalement tout converge sur la personnalité de l’assassin : le bibliothécaire aveugle du Monastère obsédé par le secret qui entoure un livre célèbre mais unique le traité d’Aristote sur le rire dont les pages son entre collées et enduites de poison pour tuer les lecteurs. Mais encore, après cette révélation finale, Umberto Ecco laisse-t-il planer un doute : la vérité serait-elle autre ?

Passons du Moyen Age au temps moderne avec Graham Green et son roman. Le troisième homme. L’un des personnages principaux découvre qu’un romancier connu possède le même nom que lui, et se retrouve propulsé à un colloque consacré à ce dernier. Il se tirera d’affaire grâce à de brillantes généralités et en refusant de répondre à certaines questions précises en narguant justement de son droit à une certaine réserve.
Après ces auteurs de langues italiennes et anglaises
Pierre Bayard nous entraîne ensuite aux non lectures d’écrivains renommés de langue française,( Balzac) autrichienne,(Musil) anglaise ,( David Lodge ) japonaise ( Sôseki)…
Mais, chaque récit, n’est que le prétexte à des analyses et des interprétations pertinentes approfondies et souvent non conformistes. Non conformistes, du moins dans l’esprit de critiques et de pédagogues académiques, ce qui le conduit a nous initier à des modes variées de lectures : lecture intérieure, lecture profonde : lecture virtuelle, lecture écran, lecture prétexte, lecture fugitive, lecture fantôme…

Pourquoi ne pas lire les textes que l’on doit commenter ?
Passons maintenant et c’est plus sérieux de l’invention orale à l’invention par l’écrit à propos de livres que l’on a pas lus.
Pierre Bayard achève sa tournée avec Oscar Wilde, le plus provocant, qui prétend qu’il ne faut pas consacrer plus de six minutes à la lecture de tout ouvrage et plus encore qu’un critique ne doit pas préalablement lire le texte, dont-il doit rendre compte.
Pour lui, le commentateur est plus compétent que le commenté. Et, il se retranche notamment, derrière Gustave Flaubert qui se vantait à propos de Madame Bovary de faire « un livre sur rien» et en consacra un aux habitants de Yonville. Contrairement, à ce que laissait entendre la classification de réalisme, qui lui est souvent attribuée, la littérature pour Flaubert est autonome par rapport au monde et obéit donc à ses propres lois. Elle n’a donc pas à se soucier de la réalité, même si celle-ci est présente à l’arrière plan et doit trouver elle-même sa propre cohérence.
Et, notre auteur conclut en rapprochant la critique de l’art – qui ne doit lui aussi utiliser la réalité que comme un prétexte -
Et, il termine, en reprenant la provocante formule d’Oscar Wilde « Tenir l’œuvre à distance, je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique, on se laisse tellement influencer »
J’abandonne maintenant ce livre si stimulant avec des considérations plus prosaïques sur les lectures et les écritures, dans notre monde contemporain, littéraire, et éditorial. Quand on songe au statut le plus fréquent de nos critiques littéraires astreints à des comptes rendus réguliers et par ailleurs fréquemment, auteur de préfaces, directeurs de chroniques, de collections, conseillers éditoriaux, membres de colloques et de jury…, et eux-mêmes auteurs. Il est bien évident, qu’ils ne disposent pas du temps pour sélectionner les ouvrages dont-ils parleront, et les lire intégralement.  Ils n’ont, ni l’objectivité, ni le recul que l’on pourrait souhaiter.

Comment signer des livres que l’on a pas écrits ?
Combien, de textes publiés dans l’édition contemporaine, n’ont pas été écrits par leurs auteurs apparents? Assez peu en littérature et chez les écrivains professionnels reconnus. Et pourtant, quelle angoisse quand «  la panne » survient, et que la date promise de remise du manuscrit à l’éditeur se rapproche. D’où la tentation, si les sujets le permettent, par exemple : historiques ou documentaires «  d’emprunter » d’anciens textes, écrits par d’autres et que l’on suppose oubliés. C’était le cas de cet académicien stoppé dans son inspiration au cours de l’écriture d’une biographie célèbre et ayant emprunté tout un chapitre de l’ouvrage à un confrère moins célèbre.
Passons, des écrivains professionnels, aux « amateurs » auteurs d’ouvrages de non fiction sur de multiples sujets susceptibles d’intéresser de nombreux lecteurs surtout si ces auteurs, sont connus du grand public: hommes politiques, acteurs, animateurs audiovisuels scientifiques… L’écriture, n’est pas leur domaine professionnel, ne relève pas de leur compétence. Et dans la majorité des cas leur éditeur, leur adjoindra un « nègre » qui pourra corriger certaines tentatives d’écriture, mais surtout traduira en langage écrit des informations, des opinions, des confessions exprimées oralement.. et pourra parfois, ajouter des propos, des informations personnelles. Mais, il restera ignoré des lecteurs, son nom n’apparaissant pas sur et dans le livre.
Le processus de rédaction, peut-être parfois, un peu plus complexe. Ainsi, dans le cas de cette biographie d’un Roi de France signé par un homme politique où c’est le « nègre » qui s’était trouvé en « panne » et avait repris clandestinement le chapitre entier d’un ancien ouvrage sur le même sujet.
La partie s’était alors, jouée à trois : l’auteur dont le nom est imprimé sur l’ouvrage, le « nègre » choisi par l’éditeur et l’écrivain réel.
Je ne dispose pas de statistiques précises, mais on peut penser, que dans la production éditoriale française, le nombre d’ouvrages vendus de non fiction ainsi décrits est égal, ou supérieur à celui des ouvrages de fiction réellement écrits par leurs auteurs. Supérieur, certainement en période électorale.

Comment écrire des livres qui ne seront jamais lus.

Tout au long de ce parcours, si nous avons mis en doute les fonctions réelles de lecture d’écriture, et de création, un objet réel se maintenait malgré ces multiples avatars :Le livre.
Abordons maintenant pour en terminer, l’ultime cas : l’absence du livre que l’éditeur n’a pas publié. Combien sont-ils ces ouvrages virtuels, ces manuscrits refusés, par un ou plusieurs éditeurs. Mais parfois heureux événement, après plusieurs tentatives, l’œuvre peut enfin trouver un preneur.
Le cas le plus célèbre est celui du premier tome de  «  La recherche du temps perdu » de Marcel Proust, refusé par plusieurs éditeurs dont la Nouvelle Revue Française de Gallimard, et publié à compte d’auteur par Grasset.
Le cas connu, le plus récent étant celui des aventures de « Harry Potter »de J.K.Rowling refusé par neuf éditeurs, et vendu à cinquante millions d’exemplaires dans cent cinquante
Pays.
J’ai cité plus haut l’ouvrage d’Umberto Ecco «  Le nom de la rose » l’un des best sellers de l’édition mondiale et dont le manuscrit avait été refusé par son Éditeur habituel : Le Seuil, et qui sera publié chez Grasset. Mais nous savons que le «  Voyage au bout de la nuit » de Céline avait été refusé par Gallimard. Des refus, pour Becket, Julien Gracq et sans doute pour beaucoup d’autres restés confidentiels.
Mais alors, si Proust n’avait pas été assez riche pour payer Grasset, si J.K.Rowling s’était découragée après neuf refus, ni La Recherche, ni Harry Potter n’auraient vu le jour.
Et l’on ne peut, évacuer l’hypothèse de Recherche et d’Harry Potter, dont l’un génial, et l’autre passionnant restés à l ‘état de manuscrit et perdus pour les lecteurs du monde entier. Des livres qui ne seront jamais lus.

F. Richaudeau

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