Apprendre à lire

Entretien avec François RICHAUDEAU et Jean FOUCAMBERT



1) En 1966 paraît « la lecture rapide » de François Richaudeau, en 1976 « La manière d’être lecteur » de Jean Foucambert dont la publication a marqué un tournant dans les conceptions de l’apprentissage de la lecture. Quels ont été les apports réciproques de ces deux ouvrages et des nouvelles recherches ?

François Richaudeau : Pour moi, l’ouvrage le plus fondamental est « La lisibilité », qui m’a permis de creuser la question de la lecture et de sa pédagogie, d’ouvrir un secteur de livres aux éditions Retz autour de ces questions et de leur élargissement à la pédagogie générale. C’est dans cet ouvrage que j’ai déclaré que « l’apprentissage de la lecture avait 1000 ans de retard », en référence au déchiffrement syllabe par syllabe couplée à l’oralisation. Des ouvrages fondamentaux sur ces sujets ont été publiés, notamment : « Comment les enfants apprennent à lire ? » de Franck Smith, la revue « Communication et langages » a traduit un article de Miller George A, décrivant une expérience depuis souvent citée (dans une pièce éclairée à la lumière artificielle, un lecteur lit un texte à voix haute, après la coupure, il poursuit sa lecture. Il avait donc lu avant d’oraliser).

Jean Foucambert : La lecture rapide est le premier livre de François Richaudeau que j’ai lu, en 1969, en livre de poche Marabout, cela a été un choc pour l’inspecteur que j’étais à l’époque. Ce qu’on enseigne n’est pas ce que François Richaudeau nous décrit sur le comportement du lecteur. Dès lors la question suivante s’est posée : comment mettre en place un apprentissage par la voie directe ?. Le principe d’exercices d’un type nouveau a été mis en œuvre dans les fichiers ATEL sous la forme d’un matériel collectif destiné à la classe et utilisé dans des sous espaces. L’écriture d’un petit mode d’emploi aboutira, en fait, à la publication de « La manière d’être lecteur ». De son coté Georges Rémond, a transposé ce même type d’exercices dans un matériel individuel publié par Retz « Je deviens un vrai lecteur ».


2) Quels sont les points de convergence auxquels vous êtes arrivés, en matière de pédagogie de la lecture et les points spécifiques qui ont été développés par l’un et l’autre ?

J.F. Il s’agit de deux entrées distinctes, François est sur une position généreuse et humaniste, pour ce qui me concerne, je pense qu’il faut vraiment changer de logique à la fois sur le plan de l’apprentissage de la lecture et du rapport à l’écrit dans la société.


F.R. Il n’y a pas de désaccord théorique de fond, la lecture est un processus de production de sens, son acquisition passe par la voie orthographique. Les outils d’expérimentation et d’entraînement mis au point ont été différents. J’ai utilisé, pour ma part, le livre avec un rideau noir qui prend toute la ligne et qui descend sur le texte et qu’on fait descendre de plus en plus vite. Le lecteur stimulé note ses performances, une certaine liberté lui est laissée, il s’auto éduque Ma méthode a donné lieu à des séminaires de lecture rapide pour adultes (cadres dans les entreprises). A cette époque a été créé le CEPL (centre d’étude et de promotion de la lecture), entreprise à vocation non commerciale qui a fusionné avec Retz.

J.F. : Cette idée de lecture rapide a fait du mal à l’AFL qui préfère parler de lecture experte (technique) ou de lecture savante (lire entre les textes). Le livre de pierre Bayard * met en évidence le rapport entre les livres et la nécessaire transformation dans notre relation avec les livres. Un livre se réinvente à chaque lecture.


3) Quel bilan dressez vous de vos travaux dans le domaine de l’apprentissage de la lecture notamment dans les pratiques de classe et le regard porté sur la lecture ?

F.R. : Depuis des dizaines d’années, on a parlé de la mort de l’écrit, il n’y a jamais eu autant d’écrits avec l’informatique, c’est déjà une victoire. De nouveaux procédés pour lire et écrire ont été mis au point, la culture du livre et de l’écrit s’est développée, notamment la littérature jeunesse qui connaît un grand succès d’édition. On n’apprend pas plus mal à lire qu’il y a 50 ans, les nouvelles méthodes n’ont pas été appliquées partout. Le niveau n’est pas inférieur aux années 39 ou 50 y compris avec une population immigrée plus importante. Aujourd’hui, avec le retour au BA BA, le mouvement de balancier, se situe à l’extrémité, il amorcera dans le futur un mouvement inverse.

J.F. : Dans la revue « Les Actes de lecture et sur le site de l’AFL (www.afl.org) figurent les résultats de recherches conduites par des équipes de l’INRP, au cours de ces dernières décennies. Elles démontrent qu’il est possible d’apprendre à lire, à bien lire, et sans doute à mieux lire, en ne recevant pas un enseignement du principe alphabétique et de la correspondance graphophonologique. Sur ce point, nos études ne font que confirmer l’expérience de nombreuses classes depuis de nombreuses années et apporte un démenti supplémentaire à une opinion qui ne s’appuie d’ailleurs sur aucun protocole scientifique pour affirmer le contraire. Le choix pédagogique de découvrir un nouveau code linguistique à partir des messages qu’il permet de produire réintroduit l’enseignement de la lecture dans la problématique générale des apprentissages linguistiques, qu’ils soient de l’oral ou de l’écrit, de la langue maternelle ou d’une langue seconde. Ces pratiques rencontrent l’écrit comme système construit et fonctionnant pour élaborer et communiquer de la pensée avant que de réaliser de la transcription phonétique.
Par ailleurs, la question de savoir qui a le pouvoir sur la prise en compte des recherches est fondamental pour comprendre les discours actuels sur la lecture validés par l’observatoire national de la lecture et véhiculés très largement dans les milieux universitaires.

Aucun commentaire: