Linguistique

Quelle grammaire enseigner?


Le mot grammaire avec son suffixe « aire » est ambigu. Il devrait désigner le recueil, l'instrument comme dictionnaire, syllabaire. Or en latin, grammatica, d’où est issu grammaire n'a pas cette signification : il signifie « la science qui s'occupe de ». Nous devrions donc dire grammatique comme mathématique, ou linguistique. (Les allemands disent grammatik)
Or, l’enfant n’apprend pas sa langue maternelle par la répétition de règles, car une langue n’est pas un dictionnaire de phrases que l’on stockerait en mémoire. Chaque énoncé est le résultat d’un travail mental fait d’une succession d’opérations mettant en œuvre les principes du code grammatical. Pour apprendre sa langue maternelle l’enfant doit percer ce code, déchiffrer pas à pas les règles qui lui donneront les clés de celle-ci. C’est pourquoi l’acquisition de la langue maternelle, loin d’être la banale routine que l’on croit, est au contraire une réussite extraordinaire. Une fois que l’enfant a appris toutes les façons de « modeler la pâte », tout le champ de l’expression lui est ouvert.
 
Mais, lorsque l’enfant arrive à l’école on lui fait croire que l’apprentissage du français est un savoir complètement extérieur à lui-même et qu’il va apprendre des choses qu’il ignore. L’enseignement de la grammaire devrait plutôt permettre à l’enfant de rendre conscientes les règles. La grammaire devrait être le domaine de la compréhension et de l’intelligence consciente. L’apprentissage de la langue maternelle par l’enfant et son observation nous permettent de donner un autre sens au mot grammaire : La grammaire d’une langue est l’ensemble des moyens mentaux dont nous disposons pour construire nos phrases et nos énoncés.
Ainsi, l’enfant et le grammairien seraient tous deux des perceurs de code, des décrypteurs. Or, ce lien qui les unit tend à disparaître à l’école. Après avoir été une grammaire prescriptive – les règles du bien dire – la grammaire traditionnelle est devenue une grammaire descriptive – la grammaire du comment. Souhaitons que la timide avancée de l’ORL ne soit pas arrêtée par les nouvelles instructions ministérielles !
Le véritable but d’une grammaire devrait être de découvrir les moyens qu’elle propose pour construire sans cesse de nouveaux énoncés. La grammaire traditionnelle tend à faire croire à l’enseignant et à l’apprenant que le langage modèle la pensée, ainsi qu’à la prééminence de la structure linéaire de ce langage. Or, la prise de conscience du principe de non-linéarité du discours est une des conditions de l’apprentissage d’une langue. Il serait souhaitable que nous allions vers une grammaire du pourquoi, explicative, ambitionnant de découvrir les lois et les principes qui régissent une langue et les opérations qui ont été effectuées en amont de la phrase, le produit fini.

Dominique Grandpierre

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